Comment guérit-on de la dépression ?

La stratégie thérapeutique des médecins a considérablement évolué ces dernières décennies. Les progrès dans le domaine pharmaceutique sont tellement fulgurants qu’il semblerait presque qu’à chaque maladie corresponde un médicament. En fac de médecine, les étudiants comprennent qu’à un diagnostic A correspond un médicament A’. Si la chimie n’a pas (encore) trouvé de solution à une maladie, cette dernière pourrait donc être incurable…

Pour la dépression, cela tombe très bien. La dépression trouverait principalement sa cause dans un dysfonctionnement des neurotransmetteurs (sérotonine et dopamine, notamment)…et des médicaments très rentables comme le PROZAC® permettent d’y recourir. Avec l’avènement de ces médicaments miracles, la dépression devrait donc bientôt disparaître de la surface du globe. Le processus mondial de guérison a d’ailleurs déjà dû débuter…

Fin de l’article !

Ah ! On me fait signe que non… Non, je suis confus… On me dit dans l’oreillette qu’apparemment, plus on prescrit ces médicaments miracles, et plus le nombre de dépressifs augmente (ainsi que le nombre de rechutes). Aïe ! Cela risque donc d’être plus compliqué que prévu.

Se pourrait-il que le problème, qui n’est sans doute pas purement physiologique, puisse trouver une grande partie de sa solution dans un traitement psychologique ?

Pour ma part, je suis convaincu que la guérison de la dépression dépend principalement du fait de changer son mode de pensée, ses croyances, et ce que l’on attend des autres et de la vie, dans les détails du quotidien et dans son ensemble.

N’en tirez néanmoins pas la conclusion erronée que les antidépresseurs ne sont d’aucune utilité. Ils permettent effectivement de pallier au problème physiologique susmentionné (même si cela n’est pas suffisant), de traiter les cas « urgents » et de donner au patient l’espoir de guérir vite grâce à un traitement efficace, grâce au mieux-être immédiat que le médicament peut provoquer.

La dépression n’a pas une seule cause, de nombreux facteurs y contribuent et appartiennent principalement aux 3 domaines suivants : biologique, psychologique et social.

Il est donc très important de rappeler la valeur et la nécessité de la psychothérapie dans le traitement de la dépression.

Les tests cliniques menés en 1994 et 1995 démontrent d’ailleurs formellement que les individus dépressifs ont de meilleurs résultats avec une psychothérapie qu’ils n’en ont avec un traitement médical : ils se sentent mieux pendant le traitement, ils ont généralement des taux de rechute plus bas, ils ont des taux de réussite identiques ou plus élevés, et ils rapportent systématiquement un fonctionnement global plus satisfaisant.

En effet, aucun médicament ne saurait enseigner à un patient les capacités de faire face ou de résoudre les problèmes, ou améliorer ses compétences sociales, des facteurs contribuant tous à la réduction de la dépression.

Bonne nouvelle ! L’hypnose, elle, le permet !

Information méconnue mais pas si étonnante que cela : la psychanalyse est le mode de traitement de la dépression le moins efficace. Trop tournée vers le problème, et pas assez vers la guérison, la psychanalyse recherche les causes conscientes et inconscientes de la dépression et amplifie donc la rumination des causes passées.

La psychanalyse semble donc être contre-productive en matière de traitement de la dépression.

J’aimerais partager avec vous l’approche thérapeutique du psychologue clinicien Michael D YAPKO, qui aborde ce sujet avec beaucoup de talent dans son livre « L’hypnose et le traitement de la dépression ». Je me propose de vous en résumer les grandes lignes mais si ce sujet vous intéresse, je ne saurai trop vous conseiller de lire son livre !

YAPKO propose d’intervenir avec l’hypnose sur les points suivants :

  • Réduction ou élimination des symptômes de la dépression :

–          Manque d’intérêt ou absence de plaisir pour des choses généralement perçues comme intéressantes ou plaisantes

–          Insomnie

–          Sensation de fatigue la plupart du temps

–          Troubles de l’appétit significatifs (+ modification du poids)

–          Sentiment de dévalorisation

–          Culpabilité excessive ou inappropriée

–          Diminution de la concentration

–          Idées de mort ou de suicide, voire tentatives

ð  Les plus fréquents sont l’insomnie et la sensation d’être fatigués la plupart du temps.

ð  Bien souvent, il suffit d’orienter la séance vers une diminution de la rumination et de l’anxiété pour faire disparaître les troubles du sommeil.

  • Réduction ou élimination des facteurs de risque :

–          Circonstances de vie stressantes (au travail, par exemple…)

–          Conflit conjugal

–          Misère économique

–          Compétences sociales limitées

–          Manque de compétence à résoudre les problèmes

–          Manque de capacité à s’auto-gérer

–          Dysfonction des modes de pensée et de perception

–          Troubles mentaux associés (anxiété, par exemple)

  • Reconnaître l’ambiguïté, la tolérer, mettre en place une stratégie de discrimination

L’ambigüité, c’est l’absence de signification claire associée à tout ce qui nous arrive dans la vie.

La nature humaine est ainsi faite : il nous faut trouver un sens à ce qui nous arrive, ou ce qui ne nous arrive pas, parfois « à tout prix » ! Il s’agit de croyances fermement ancrées en nous. Nous n’en avons pas la preuve certaine mais nous en sommes toutefois convaincus !

Par exemple, si vous laissez un message sur le répondeur d’un ami et qu’il ne vous rappelle pas, vous allez sûrement vous demander pourquoi, n’est-ce pas ?

Qu’est-ce que cela peut bien signifier pour vous ?

–          Il n’a pas encore eu mon message

–          Il a perdu son portable

–          Il est très occupé et n’a pas eu le temps de me rappeler

–          Des événements graves ont pu se produire et il n’a pas pu me rappeler

–          Je ne sais pas pourquoi il ne me rappelle pas

–          Il ne m’aime pas, je ne l’intéresse pas…

Qu’est-ce que ça peut bien souvent signifier pour un dépressif, selon vous ?

La signification la plus saine, et la plus aidante, est l’avant-dernière. Il s’agit de reconnaître l’ambigüité (je ne sais pas pourquoi cette chose arrive, je n’en ai pas la preuve formelle) et je tolère cette absence de certitude.

Il est très important que les patients dépressifs apprennent à reconnaître l’ambigüité (car c’est à ce moment qu’ils courent le plus de risques de faire des projections déprimantes ou limitantes), et qu’ils mettent en place une stratégie de discrimination leur permettant de générer divers points de vue. Ils apprennent ainsi à faire de l’ignorance l’occasion d’effectuer des recherches approfondies, pour faire la distinction entre des spéculations (très probablement dommageables) et des faits établis.

  • Déterminer la contrôlabilité et la non contrôlabilité

Une philosophie populaire grandissante enseigne tous les jours aux gens qu’avec la « bonne attitude », ou la « technique convenable », ils peuvent pratiquement tout contrôler dans leur vie, de la curiosité de leurs enfants à leur propre santé physique (ce qui n’est pas complètement faux…).

Néanmoins, cette philosophie devient dangereuse en cas d’échec cuisant : s’ils échouent, c’est qu’ils ont mal agi, puisqu’ils pouvaient contrôler la situation !

Cette sensation d’impuissance, dans une situation en principe sous contrôle, peut mener très rapidement à la dépression.

Il faut enseigner au patient à reconnaître les situations sur lesquelles il peut exercer un contrôle sur son environnement, et celles où rien ou presque ne dépend de lui.

Traiter la contrôlabilité, c’est également se poser la question des attentes du patient, réalistes ou non, dans les détails du quotidien, ou dans la vie d’une manière plus globale.

Il existe bien un contrôle primaire. Cela concerne tout ce sur quoi le patient peut agir, dans son environnement, pour influer sur la situation : il suffit qu’il intervienne pour potentiellement l’arranger objectivement.

Par exemple, il devient plus facile de trouver du travail si on fait un effort vestimentaire, qu’on se rase et qu’on sourit lors de l’entretien…

Mais parfois, rien n’y fait ! Avec tous les efforts du monde, on ne peut pas changer la situation !

Même bien rasé, on peut ne pas être sélectionné par le recruteur…

Alors, dans ce cas, il ne nous reste plus qu’à faire face le mieux possible : c’est le contrôle secondaire ! C’est avoir le contrôle sur la manière dont on prend les choses.

Dans certains cas, notre façon de prendre les choses sera d’ailleurs bien la seule chose sur laquelle nous pourrons agir (dans le cas d’un deuil, par exemple…).

Stratégiquement, il faudra donc que le patient :

–          mette en place une stratégie de discrimination efficace pour savoir ce qui est contrôlable et ce qui ne l’est pas

–          accepte l’absence de contrôle, le cas échéant, pour mieux réagir face à ce qui lui arrive (par exemple, ne pas se sentir responsable de ce qui lui arrive ou de ce qui ne lui arrive pas).

Voici donc résumée la stratégie thérapeutique de YAPKO, qui ne saurait être limitée à ce que j’ai décrit ci-dessus. Je n’ai fait que présenter les grands axes de sa méthode mais la dépression étant une maladie complexe, son traitement l’est également. Une nouvelle fois, je vous invite à livre son ouvrage si vous souhaitez plus de détails sur le traitement de la dépression.


6 responses to “Comment guérit-on de la dépression ?

  • boris amiot

    Accepter l’absence de certitude… Mais… C’est l’apologie du doute cet article ! Comment on fait pour se convaincre des bienfaits du doute ? Si on y croit, c’est qu’on en doute, non ?

    • cedricroptin

      A n’en point douter ! 🙂
      NB : L’absence de certitude ne signifie pas forcément douter. Le doute peut mener à la rumination, qui est l’un des facteurs de risques de la dépression. Ne pas savoir (et accepter l’ignorance), ce n’est pas forcément hésiter entre plusieurs significations. Mais le doute peut être une étape utile. Explorer plusieurs points de vue vaut mieux qu’être certain, sans fondement, d’une signification déprimante (si cela ne tourne pas à la rumination).
      Tu peux donc continuer à douter en paix, mon ami !

  • maudavril

    « … la dépression étant une maladie complexe, son traitement l’est également « . … c’est pas très « bandlerien ça ? et ça sent la Cause à Effet. Je pense comme Bandler (bah il va être content je pense !) et d’autres comme François Roustang notamment, que 1) c’est notre classification et notre langage qui créent une réalité complexe, un sac de noeuds, et que 2) quand bien même une « maladie » serait complexe, l’efficacité du traitement n’aurait rien à voir avec une quelconque complexité. C’est comme les suggestions hypnotiques, une seule suffit instantanément quand c’est la bonne, pour déclencher le processus de changement. Tout ça pour dire aussi que j’aime bien ton article !

    • cedricroptin

      Bandler ? Connais pas…c’est qui ?
      😉
      On utilise le mot dépression pour donner un nom à un état d’être (qui diffère pourtant considérablement d’un patient à l’autre) et pour en faciliter le traitement.
      En réalité, il n’existe pas une seule forme de dépression, mais autant de formes qu’il existe de patients.
      Ici, le mot « complexe » signifie davantage que les symptômes sont multiples, et parfois ayant de nombreux rapports entre eux, comme l’explique YAPKO dans son ouvrage.
      Le problème étant multiple, et même s’il est très tentant de le croire, tu ne peux malheureusement pas toujours tout traiter d’un coup de baguette magique (avec la bonne suggestion, au bon moment) comme tu pourrais traiter un problème moins complexe (un problème de peau, par exemple).
      Un patient peut donc sans doute supprimer « instantanément » un symptôme (l’insomnie, par exemple) sans pour autant faire disparaître les autres (l’intolérance de l’ambiguïté ou de la non contrôlabilité, par exemple, pour reprendre les éléments du post). Pour caricaturer à l’extrême, la suggestion « la dépression disparaît » ne sera donc d’aucune utilité.
      En tout cas, merci pour ta remarque, je vois que tu es attentive aux mots que j’emploie…

  • maud

    Justement, ce que j’essaie de dire c’est que pour moi le problème commence justement sur la catégorie. C’est parce qu’on a crée le mot et le concept « dépression », censé recouvrir un phénomène qui est pourtant unique pour chaque individu et multi-symptômes (normal puisque c’est « des pressions »… ahahhaha). Et c’est donc notre regard sur la « maladie » et les classifications de celle-ci qu’il faut revoir, car il porte en lui, en l’état, la complexité de la guérison ou pire l’incurabilité (ce que justifie d’ailleurs l’existence de tout un tas de médocs et de spécialistes…). Sur ce, bon dimanche 🙂 !!!

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